Point de tige sur la table en rotin

jeanne

Jeanne était une femme de la terre. Elle pensait qu’après la vie, il y avait le paradis. Aujourd’hui, j’aimerais le croire moi aussi. Ma grand-mère est éternelle. Elle est de ceux qui font durer la vie. Elle savait rapiécer. Tout rapiécer… Avec des bouts de tissus, des bouts de fils, des perfusions, elle a rapiécé la vie pour en bouffer jusqu’à la dernière miette. Sept ans de raccommodage. Elle retournait même les cols de chemise, c’est vous dire. Mais moi je ne suis pas dupe, je vois bien quand la chair est usée, la retourner ne suffit pas, ne suffit plus. Il fallait laisser les fils partir, s’étirer, se couper… Pour l’éternité elle m’avait transmis son savoir, le point de tige sur la table en rotin, les smocks sur la marche du séjour. Elle m’avait cousu cette poupée jumelle dans ce tissu écossais rose. J’avais dessiné le visage, le feutre avait bavé.

J’ai senti la lignée, l’héritage. Les veines sous sa peau presque transparente jusqu’aux miennes dans la trame du tissu. De mon côté je voudrais tisser ces lignes d’histoire et les garder pour toujours, comme un savoir faire d’antan transmis de génération en génération. Garder le fil, le broder, le coudre, le crocheter pour ne rien oublier d’elle. Je pense à cette barboteuse bleue, trésor précieux porté par ses 3 garçons, puis mon fils… Aujourd’hui je l’imagine enceinte quand elle l’avait smocké. Je n’arrive pas à m’enlever cette image de la tête, elle donnant la vie.

Ma moitié a perdu son grand-père le même jour. Nous deux, noués, à la vie, à la mort, pour toujours…

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